Construction et destruction : une tentative de sauvegarde des orchidées indigènes

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David Lafarge
Fig. 1- Ophrys fuciflora subsp. souchei. Cheval-Blanc (Vaucluse, France). 15 juin 1996 (Photo R. MARTIN).

Introduction

Sur la terre la population augmente chaque Jour davantage ; ainsi la nécessité et les besoins de notre civilisation imposent la construction d'immeubles et d'usines* il en résulte en même temps un recul et une destruction de la nature. Le nombre de voitures croît sans cesse : cela entraîne la construction de nouvelles autoroutes et contribue donc au ravage de la nature, Bien sûr, il est compréhensible que chacun veuille "sa place au s o l e i l". Mais s'il faut édifier des maisons, des usines et tracer des autoroutes, faut-il continuer à détruire la nature comme dans le passé ?
Il existe un Ministère de la protection de la nature et de l'environnement : bien d'autres organismes officiels et aussi de nombreux groupements privés s'occupent de la protection de "la nature" mais qu'est-ce qu'il y a pour la protection des plantes rares en France ? Et pourtant ne sont-elles pas toujours les premières victimes de toutes ces constructions ?

Les faits

Si dans le monde entier 20 000 espèces de fleurs sauvages risquent de disparaître (R. Melville. Red Data Book 1 9 7 0 1 ) qu'est-ce que cela signifie pour la France et les Orchidées Indigènes ? La France possède (après l’Italie) le plus grand nombre d'Orchidées Indigènes en Europe. Mais cette richesse est menacée ; un exemple : en 1869. J. B. Barla avait décrit et magnifiquement illustré la fameuse "Flore de Nice" des seuls environs de celte ville un nombre considérable d'Orchidées. Aujourd'hui plusieurs, des plus spectaculaires, n'y existent plus ni même ailleurs en France. Orchis longicornu est une de celles-là. Je n'en n'ai pas trouvé un seul exemplaire en France. Ophrys speculum qui existait dans les environs de Menton a disparu, J. B. Barla signalait Ophrys bombyliflora, aux petites fleurs bien particulières, à l'embouchure du Magnan et de Brague. L'industrie et les routes l'ont remplacé. Ophrys tenthredinfera, la plus grande et peut-être aussi la plus belle espèce du genre, n'existe plus en Provence. Elle fleurissait il y a moins de 100 ans à la Turbie et près de St-Laurent-d'Eze.

Les causes de la disparition

Pourquoi donc ces quatre espèces ont-elles disparu ? Nous n'avons aucune raison de supposer une disparition naturelle, une sélection spécifique ou une évolution climatique (cette dernière aurait au contraire pu expliquer une expansion). Bien souvent les animaux : chèvres, vaches, etc. sont la cause d'une régression locale d'une espèce de plantes, mais je pense que les plus grands fautifs sont « les vaches à deux pattes ». Les touristes et les promeneurs peuvent détruire par ignorance : ils cueillent les jolies fleurs, les jettent peu après d'ailleurs, ou les foulent au pied simplement sans s'en apercevoir ; et rapidement les plus belles fleurs ainsi que les espèces rares et sensibles disparaissent de tous les endroits accessibles.
Une autre catégorie de prédateurs est celle des pseudo-naturalistes : ils faisaient autrefois des cueillettes anarchiques pour herbiers, véritables cimetières à plantes. Aujourd'hui certains s'amusent encore à essayer de transplanter Neottia nidus-avis dans leur plate-bande, d'autres prennent des photos : ici la plante sera vue de tous les côtés, racines et bulbes déterrés, parfois tout un bouquet... C'est un pillage systématique.
De plus il y a la destruction des milieux, toujours accélérée par l'importance des constructions immobilières. On construit des maisons sur les coteaux bien exposés précisément là où la plupart des Orchidées prospèrent. On construit des autoroutes et des routes par exemple à travers une des rares stations de Serapias olbiensis, Orchidée endémique de la France, mais le bulldozer ne peut pas savoir combien d'Orchidées sont détruites.

La protection active

Qu'est-ce qu'on peut faire pour les Orchidées : essayer d'appliquer les décrets oubliés interdisant la cueillette, tout en tolérant les opérations immobilières, constructions qui suppriment définitivement les stations ? Essayer d'arrêter autoroutes et industries qui menacent, qui détruisent des vastes surfaces agricoles pour « quelques plantes sauvages » ? L'incompréhension du public et des organismes officiels serait sûre.
Je pense qu'il faudrait, pour sauver les plantes qui seraient perdues à cause des constructions nécessaires, faire un « jardin d'Orchidées », une sorte de "Réserve botanique" qu'on pourrait appeler « Parc orchidologique ». Dans plusieurs pays d'Europe il y a déjà et depuis longtemps des réserves contrôlées pour les plantes rares : Espagne, Italie, Autriche, Angleterre, Allemagne ; des jardins spéciaux même, pour les Orchidées : l'exceptionnelle réserve de Gerendal en Hollande par exemple. N'y a-t'il pas moyen d'en faire autant en France ?
La meilleure solution serait un jardin avec une partie vouée aux recherches concernant la conservation et la multiplication (végétative et par semis] et à côté une partie pittoresque et éducative pour le public, plantée naturellement, avec des multiplications obtenues dans ce jardin.
Malgré tout ce qu'on peut lire dans des livres et traités, même récents, la culture des Orchidées européennes n'est pas impossible ! Depuis d'assez nombreuses années je travaille sur leur culture : d'abord au jardin botanique de Hanovre (R.F.A.) et maintenant à Nice. Mes travaux m'ont convaincu que c'est l'ignorance des conditions nécessaires qui fait échouer tant de transplantations. Selon les espèces et les moyens disponibles on doit utiliser différentes techniques.

a) Culture de maintien et multiplication végétative naturelle

Des plantes de certains genres, menacées de destruction (chantiers), peuvent être cultivées en pot en attendant de leur trouver une nouvelle station. Un exemplaire d'Orchis morio peut ainsi vivre dans un pot de 11 cm de diamètre avec t'aide d'engrais bien dosés. Mais d'une manière générale il vaut mieux grouper plusieurs plants dans un pot plus grand. Les pots sont enterrés au milieu d'une plantation d'accompagnement qui fournit une ombre légère et maintient un microclimat favorable. Dans des conditions parfaites on peut obtenir des multiplications végétatives naturelles : l'Ophrys tenthredinifera peut ainsi développer deux bulbes pour l'année suivante, phénomène rare dans la nature !

b) Multiplication végétative artificielle

Un des problèmes de la multiplication de nos Orchidées provient cependant du fait que la plupart forment, même dans les conditions excellentes, seulement un bulbe de remplacement. On avait par contre observé des cas où ce nouveau bulbe fut endommagé et où le plant a développé un second. Sur ces observations est basée une technique, découverte récemment et décrite plus en détail dans l'Orchidophile n° 12. Donnons ici quelques exemples : pendant la floraison Orchis coriophora possède (comme la vaste majorité de nos autres Orchidées à bulbes) à côté du bulbe qui a donné la tige feuillée, un nouveau bulbe qui assurera la prochaine floraison. Au début du mois de juin, tant que la plante était bien verte et en pleine assimilation, j'ai prélevé (sans endommager le reste) les nouveaux bulbes de plusieurs individus. Ils ont assuré une floraison normale l'année suivante. Les vieux plants avaient de leur côté formé dès la fin juillet, avant de sécher à la maturité des graines, de nouveau de jeunes bulbes, certes plus petits mais souvent au nombre de deux. Ces petits bulbes ont eux aussi donné des plantes l'année suivante. Une modification de cette technique peut être utilisée pour des espèces comme Himantoglossum hircinum qui développent leur appareil végétatif très tôt en automne et hiver. J'ai enlevé début décembre le bulbe d'une plante qui, à cette époque, n'a pas encore de nouveau bulbe. Par la suite elle continue cependant à vivre normalement, fleurit, forme son bulbe de renouvellement, etc. Pendant ce temps le bulbe détaché forme de nouvelles petites pousses qui donnent chacune une nouvelle plante.
Cette technique permet donc d'obtenir, à côté du stock maintenu, un certain nombre de plantes plus petites qui fleurissent un ou deux ans plus tard. Mis à part l'application de charbon de bois sur les blessures elles ne demandent aucun autre produit ou appareil. Cependant elle exige d'une part des plantes en très bonnes conditions, d'autre part le nombre de « divisions » obtenues à partir d'une plante adulte reste réduit à un ou deux, D'autres techniques, plus compliquées, peuvent être utilisées dans des buts précis.

c) Multiplication végétative sous conditions aseptiques

Chaque Orchidée possède à la base de sa tige en face du nouveau bulbe un bourgeon ou « œil dormant ». Au début juin j'ai prélevé ces bourgeons chez des Ophrys fuciflora. Transplantés sur milieu nutritif gélifié, dans des tubes à essai, de minuscules bulbes se sont développés avant mi-juillet. La même expérience fut répétée avec Ophrys atrata. Le travail une fois engagé dans ces conditions de laboratoire on peut se demander pourquoi il ne serait pas possible d'utiliser la multiplication par le méristème comme on le fait déjà avec de nombreuses Orchidées tropicales. Cette technique est actuellement à l'étude. Ces expériences sont toutes effectuées sur des plantes ramassées dans des chantiers et avec les espèces les plus communes. Le but est naturellement d'arriver à pouvoir multiplier les espèces les plus rares pour empêcher leur disparition.

d) Multiplication par semis

Cette technique, assez longue, a l'avantage de ne pas nécessiter des manipulations de la plante originale. Elle est utilisée pour les plantes impossibles à transplanter (les Orchidées saprophytiques), difficiles (les autres Orchidées à rhizomes) ou très rares. J'ai employé la méthode connue qui consiste en un semis sur la terre de la plante-mère. Les résultats : trois mois plus tard on peut voir les premières petites feuilles des jeunes plantes. La majorité d'entre elles fleurit au bout de quatre ans. La technique des semis sur milieu nutritif artificiel a été employée par M. Harbeck. Elle mériterait d'être plus développée.

Aspects annexes ouverts par la multiplication

Pour moi le maintien d'espèces menacées est la raison de mes travaux. On peut aussi voir d'autres raisons pour la culture des Orchidées. Par exemple des problèmes scientifiques demandent souvent des observations en conditions contrôlées. Une plante différente, ou toute une population isolée avec des fleurs qui ne correspondent pas aux plantes typiques, sont-elles réellement différentes (variétés, sous-espèces ou espèces) ou est-ce que la différence est causée par des accidents, des conditions de milieu particulières ? Seule la culture (conditions contrôlées, semis) permet d'en juger. De même pour les hybrides, seules des cultures expérimentales peuvent encore apporter quelque chose !
Plus important sera peut-être l'aspect pratique. Depuis longtemps nos Orchis et Ophrys étaient utilisées en médecine. Aussi bien à la fin du siècle dernier que pendant la première moitié de celui-ci, des recherches médicales et pharmacologiques ont prouvé des effets curatifs,
Encore plus récemment, lors d'une conversation avec un spécialiste autrichien, J'ai appris que l'Ophrys fusca, cette espèce qui est encore assez commune dans le Midi, est résistant aux virus. Peut-être trouvera-t-on un moyen de lutte contre les virus grâce à cet Ophrys ?
De même une importante entreprise pharmacologique a demandé des graines de Platanthera bifolia au jardin botanique de Hannovre. Un chercheur polonais avait constaté que cette Orchidée qu'on appelle aussi Hyacinthe des bois, à cause de son parfum merveilleux, contient une forme de vanille qui est plus assimilable par l'homme que celle de la Vanille. Je n'en ai plus entendu parler. Peut-être n'ont-ils pas eu assez de matériel ou bien la culture aurait-elle été trop difficile ? Peut-être un beau jour fera-t-on des grandes plantations de nos Orchidées pour l'industrie pharmaceutique, pourquoi pas ? Mais il faudra encore savoir les exploiter.

Conclusion

Les menaces sont grandes : certaines espèces ont déjà disparu, d'autres sont devenues très rares. Nous commençons à développer des techniques qui pourront permettre d'éviter le pire. Mis à part le côté esthétique (pourquoi les générations futures n'auraient-elles pas le plaisir de trouver ces fleurs dans les bois et les garrigues ?), il y a des preuves que ces Orchidées indigènes contiennent des substances actives pour l'homme. Mais il faut faire vite ; dans quelques décennies, pour certaines mêmes dans quelques années, il sera trop tard. Jusqu'à maintenant il n'y a pratiquement rien de fait en France pour sauver ces joyaux. Actuellement, par l'intermédiaire de M. Poirrion, le Président des Naturalistes de Nice, une possibilité de culture et de sauvegarde est offerte sur un terrain prêté par l'Observatoire de Nice. Un premier pas est donc fait et je remercie la Direction de l'Observatoire pour l'aide qu'elle apporte ainsi. Mais elle ne peut que prêter le terrain, tout le reste est donc à faire : trouver l'argent et le temps pour mettre en œuvre la première « Arche de Noé » pour les Orchidées françaises.

Article publié par Ingrid von Ramin

dans L'Orchidophile n° 13, p 260

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